Le Père Joseph JAEGGY
         1908 – 1991

20 ans en Chine  - 37 ans à Taïwan

 

 

     Il était né dans une famille de cultivateurs à Pfaffenheim près de Strasbourg le 7 mars 1908.

 

    Après ses études primaires chez les frères de Matzenheim et ses classes secondaires à l'Ecole apostolique de Florennes, il entend l'appel de la Mission : la Chine l'attire et c'est pour elle qu'il entre au noviciat à 18 ans.

 

    Il reste à Florennes pour le juvénat encore et rejoint le philosophât de Vais en septembre 1930.

 

   Trois ans plus tard, il s'embarque pour Hong-Kong et Tientsin où il débarque au printemps de 1934. Il a 25 ans, il est nommé régent au collège de Sienshien comme détaché militaire et commence l'étude des chinois. Il enseigne le français et le latin aux élèves, il est préfet de sports et de la liturgie.

 

   Pour sa théologie, comme tous les jésuites français  de  Chine  répartis  dans  les  deux missions du secteur de Pékin et de Shanghaï, il descend à Zikawei, le grand quartier international de la capitale du Sud.

 

   Il y reçoit le sacrement de l'ordre le 7 juin 1939 et son troisième an achevé à Wuhu, à l'ouest de Shanghai, il remonte dans sa mission, au sud de Pékin.

 

Missionnaire dans le Hopei

 

   L'été de 1940, il avait missionné dans le Jenkiou avant de faire son troisième An à Wuhu sur le fleuve Yang-Tse-Kiang.

 

   L'année 1941, à Noël, après un séjour de 6 mois à Tientsin aux Hautes Études, ses supérieurs lui confient à l'Est du Kiaoho, la paroisse de Potowtchen reliée par chemin de fer à Shienhsien. Les Japonais venaient de tuer sauvagement une vingtaine de Pères, prêtres et professeurs du séminaire-collège de cette ville, mais les néophytes étaient nombreux.

 

   Fin juillet, Mgr Tchao et le R.P. René Charvet l'envoient à nouveau au Jenkiou pays de vieilles chrétientés du temps de Kanghsi (1662-1723). Dans ce nord de la Mission il était le pasteur de neuf mille baptisés bien éprouvés par la guerre.

 

   Son supérieur de Shien Shien se souvenait : « Le Père Jaeggy donnait tout à la vie chrétienne de ses néophytes. Dans chaque village il retrouvait le même « keng » de briques pour tout matelas le soir, quand je l'accompagnais, nous confessions plus de 100 chrétiens chacun. Le matin, après les messes, les palabres, les affaires à régler, nous partions à bicyclettes, nos porte-bagages surchargés, en ce début juin, un soleil tropical accompagnait un vent de poussière violent. Le soir, après quatre heures de piste, le Père Jaeggy était épuisé. Il repartait  le  lendemain,  sans  un  mot  de plainte ».

 

   Sur les routes ils rencontraient des Japonais ou des francs tireurs ralliés à leur cause qui les traitaient tantôt en amis tantôt en ennemis. Il avait missionné 20 ans là-bas. En janvier 1953, chassé du Continent avec plus de 600 Jésuites il débarquait à Hong-Kong, et après une visite à nos Pères aux Philippines, il arrivait à Taiwan.

 

Trente sept ans à Taiwan chez les Aborigènes

 

   « De Tapeï, je monte presque aussitôt à Luotong, car Mgr Kuo, mon évêque de Hsinchu me conseillait de visiter mon doyen l'abbé Paul Fan, alors paralysé et hospitalisé.

 

   Le 31 décembre 1953, en compagnie du P. Albert Hanrion (aujourd'hui en Cote d'Ivoire), nous commencions l'apostolat dans le canton de Kiunglin, attendant le renfort des Pères Jean Motte et Claver Lioa.

 

   Deux ans plus tard, sur l'appel des montagnards aborigènes Atayal (une des plus nombreuses des sept tribus primitives de Taiwan, refoulées dans les hautes montagnes par les immigrants du Continent Chinois), je disais la première messe de N.D. du Carmel, dans le canton de Chienshin « la Pierre Pointue ».

 

   En 1954, le Père Jaeggy avait eu la joie d'assister, à l'ordination du premier prêtre chinois dans l'île de Taiwan. C'était un réfugié de Sienhsien. Il a missionné à Souao, dans le N.E. de Taïwan. Il est mort en 1971.

 

   Les jésuites là-bas ont été devancés par les presbytériens mais peu à peu l'œcuménisme a progressé  avec  l'évangélisation.  Le  Père Jaeggy participe à ce progrès, à cette formation des catéchistes, à l'éveil des vocations, mais en 1989 il écrivait à un ami jésuite de Lille : « l'évolution, disons plutôt la révolution ou changement social au cours de ces 35 ans a changé beaucoup la mentalité et le travail. Les adultes témoins de cette période de transformation s'y adaptent plus ou moins bien. La jeunesse évolue comme dans tous les pays industrialisés.Les enfants fréquentent tous l'école ».

 

  La vie des chrétiens progresse ; garçons et filles se retrouvent à l'église le samedi soir et préparent la liturgie dominicale. A tour de rôle, les familles accueillent le Père et le catéchiste.  Les  jardins  d'enfants  assurent  le contact avec les familles.

 

L'éveil des vocations

 

   Dans le secteur de Chienshih, des jeunes de 20 ans désirent continuer leurs études, se former pour aider leurs compatriotes à mieux connaître et vivre leur foi. « Jésus leur a révéla leur dignité et l'égalité fraternelle des croyants. Ils veulent servir comme séminaristes et prêtres ou catéchistes, animateurs de chrétienté ou encore instituteurs, infirmières, surtout dans les hameaux au fond des montagnes où beaucoup d'autres refusent d'aller.

 

   « En trente ans, j'ai envoyé quatre candidats au Petit Séminaire. Aucun n'a abouti. Mais un autre aujourd'hui étudie en 1° année de théologie à Taïpei. Il m'arrive de penser  souvent au treize jeunes séminaristes envoyés au Séminaire de Pékin en 1947, arrêtés dans leurs études par Mao Tse Tung et enrôlés de force dans l'armée...

 

   Ma prière monte vers te Seigneur pour que germent encore des vocations dans les paroisses de la montagne ».

 

De station en station

 

  Pendant trente ans, le Père Jaeggy les a visitées de village en village, compris le désir des montagnards, soutenu leur foi et leur progrès humain.

 

  Au village de Nalo, il était heureux de pouvoir construire en 1967 le centre Saint-François-Xavier, d'y accueillir Sœur Eléna Pia pour des cours de formation ménagère, de puériculture et de catéchèse, d'y créer une caisse mutuelle d'épargne et une coopérative en collaboration avec les protestants.

 

  En 1986, il écrivait au Père Joseph Reinbold à notre procure : « Je visite un gros village de 400 âmes 2 ou 3 jours par mois. La chapelle en bambou tombe en ruine. J'envisage la construction de cette mission station mais elle reviendrait à 40.000 F avec le minimum de béton armé ».

 

  Au fil des années le Père Jaeggy a souvent sollicité ses amis ; les chrétiens montagnards apportaient leur main-d'œuvre, une part des matériaux, mais ils n'étaient pas assez aisés pour assumer le budget d'ensemble.

 

  Ils étaient cultivateurs, ouvriers forestiers fiers de prier, de se rassembler dans leur église.

Et chaque fois, après chaque inauguration le Père Jaeggy aimait remercier les bienfaiteurs pour leur générosité « c'est l'expression de votre Foi en Jésus-Christ. Par vous, par moi, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ».

 

   « Au fil des ans, les montagnards de Taïwan ont progressé dans leur niveau de vie, certains ont pris le chemin des villes de la plaine. Ils ont connu la facilité, mais les croyants ont désiré la force du Pain de vie, ils ont trouvé la personne de Jésus ».

 

Un accomplissement

 

   II écrivait cela en 1989.

 

   L'an dernier il allait ralentir son activité, freiné par une opération à la jambe, à la suite d'une phlébite. Après l'hospitalisation à Taïpei, il voulait reprendre sa tâche de pasteur.

 

   Il était revenu dans la montagne de Chienshih pour la Semaine Sainte. Il visitait ses paroisses avec son catéchiste chauffeur.

 

   Et puis brusquement il allait quitter ses amis.

 

   Le 23 janvier, à la réunion hebdomadaire de la communauté jésuite du secteur à Chutung, la conversation était joyeuse et le Père Kisgen avait reconduit le Père Jaeggy dans son presbytère.

 

   Mais le lendemain matin son catéchiste et la cuisinière trouvent la porte de sa maison fermée, comme celle de sa chambre ; ils le trouvent étendu sur son lit, immobile dans la mort, comme s'il s'était levé, habillé et recouché, son chapelet à la main.

 

   Le Père de Géloes arrive avec le Père Kisgen. Puis le Père Faby et le Père Fontecha supérieur du district : « tous nous prions un long moment, chapelet, cantiques et prières liturgiques ».

 

   Après la messe de l'après-midi, avec beaucoup de chrétiens, le corps est transporté à l'« Hôpital  des  Vétérans »  à  Chuntung  en attendant  l'enterrement  du  28  janvier  à Chienshih : une semaine pour les préparatifs.

 

   « Ce jour-là, l'église était trop petite, raconte le Père de Géloes, 18 corbeilles de fleurs portaient le nom des donateurs. Huit montagnards en tenue liturgique déposent le cercueil au milieu des fleurs. Après l'homélie du Père Supérieur,  le  catéchiste  parle  en  langage montagnard, et chante la chorale de Nalo. Les prières et les offrandes des rites traditionnels chinois, les prostrations profondes devant le cercueil, expriment une piété filiale, la reconnaissance envers le Père Jaeggy comme envers leurs parents. Devant le cercueil ouvert pour un dernier adieu, des larmes coulaient sur les visages.

 

    Le soir, veillée de prière avec le Père Sun Ta, ancien compagnon du P.Jaeggy dans sa Mission du Hopei, collation, veillée par groupes successifs dirigés par le catéchiste.

 

    Le mardi matin, après la dernière messe, les adieux du Curé à son peuple, on part pour l'enterrement à Chutung. « Nous étions quarante concélébrants avec le R.P. Provincial et Mgr Liu. Après l'homélie du Père Kisgen et du  catéchiste, Mgr Liu donne l'absoute et chaque corps de métier s'avança devant le cercueil. Le Chef lit un compliment en sentences rythmées, offre l'encens : le groupe fait l'inclination, et laisse la place au suivant. On offre des fleurs, des fruits et du vin. Enfin toute l'assemblée, en colonne par deux, offre aussi l'encens. Sur la route du cimetière, les cantiques soutenus par haut-parleur, huit montagnards, en grandes tuniques rayées escortent le cercueil sur la camionnette et le Père Sun-Ta donne l'absoute de la liturgie finale.

 

   Le même jour, à Pfaffenheim, village natal du Père Jaeggy, son ami l'abbé Paul Humbrecht célébrait l'Eucharistie à sa mémoire :   « II  a  marché  toute  sa  vie  dans  les  deux Chine, Sa Mission, il a sacrifié ses forces, son  intelligence, tout son cœur, par amour pour Dieu, pour ses chrétiens, pour leur apporter la Bonne Nouvelle.

 

   Au terme de sa vie donnée, consacrée, il rencontre maintenant le regard de Dieu, ce regard qui fait VIVRE».

 

                                                                                                                                                                                                   J.Gabin

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