Tous les Pfaffenhémiens connaissent la
chapelle du Schauenberg, marque blanche
accrochée à la montagne, visible de fort
loin et qui, la nuit venue, lorsqu'elle
est éclairée, apparaît aux usagers de la
RN 83 comme un point de repère parmi les
nombreuses lumières des villages
environnants. Certains se souviennent sans
doute des manifestations et des fêtes qui
y furent célébrées en 1983, année de la
commémoration des cinq cents ans
d'existence du sanctuaire. Le lecteur
intéressé pourra trouver de nombreux
écrits à ce sujet, notamment une histoire
complète de la chapelle et de la statue ND
du Schauenberg, écrite récemment et qui
fait état des résultats des dernières
recherches. Peut-être sa curiosité
s'arrêtera-t-elle aux premières décennies
du XVe siècle, sans remonter davantage
dans le temps. Toutefois, s'il désire
approfondir ses connaissances sur
['histoire de son village, il se rendra
compte que Pfaffenheim, ce village qui a
déjà vu naître un grand nombre de prêtres
et de religieux, peut encore
s'enorgueillir d'avoir été le berceau
d'une congrégation de religieuses au XIIIe
siècle.
Au pied du Schauenberg en direction de
Gueberschwihr, entre d'autres espèces
d'arbres, se trouve une forêt de
châtaigniers que les habitants du village
connaissent bien : c'est un endroit calme
où le promeneur peut encore ramasser de
fort belles châtaignes en automne.
Essayons de redécouvrir l'histoire de ce
lieu. La présence des vestiges d'une
construction, située à bonne distance des
habitations du village, devrait aiguiser
notre curiosité.
Il est proposé au lecteur un parcours
facile, sans étalage d'érudition inutile,
suffisamment étoffé cependant, pour
pouvoir servir de référence à l'amateur
averti d'histoire locale.
LE COUVENT DE SAINT LEONARD
Au début du XIIIe siècle, il y avait à cet
endroit quelques maisons formant un
hameau, nommé HUSERN, qui dépendait de la
paroisse de Pfaffenheim. L'appellation
HUSERN dont l'origine se situe tout
simplement dans HAUS,c'est-à-dire maison,
n'évoque aucun lien avec le village voisin
de Husseren-les-Chateaux. Il était
fréquent à cette époque qu'à peu de
distance d'un gros village s'établissent
un ou plusieurs groupes de maisons autour
d'une chapelle. La plupart de ces «weiler»
ont disparu au fil des années. Certains
cependant se sont développés et ont même
été à l'origine d'agglomérations plus
importantes. A Pfaffenheim au début du
XIIIe siècle existaient deux hameaux. L'un
s'appelait OSENBIR. En l'an 1200, l'évêque
Jean de Strasbourg le désigna par
OCHSENBURG dans une charte accordée au
monastère de St-Marc ; puis quelques
années plus tard, il fut remis en gage aux
seigneurs de Hattstatt pour la somme de 20
marks d'argent. L'évêque Konrad de
Strasbourg le racheta cependant en 1295 et
depuis ce temps le lieu dit «Osenbuhr»
appartient toujours à Pfaffenheim. Dans la
seconde partie du XVIII° siècle, quelques
années avant la Révolution, les
responsables de la communauté de
Pfaffenheim ont même reproché à leur curé
André Muller de ne pas s'occuper
suffisamment des «5 ou 6 feux» que
comptait Osenbuhr et d'y envoyer à sa
place les pères Récollets du Schauenberg.
L'autre hameau ou weiler, s'appelait
HUSERN. |[ a par contre totalement
disparu. Seules restent actuellement des
traces de murs visibles dans la
configuration du sol, représentant
probablement l'enceinte extérieure du
couvent, et bien sûr une bâtisse vestige
d'une partie de l'ancienne chapelle et des
locaux conventuels. Alors, quelle est
l'origine de cette ancienne chapelle,
appelée chapelle de saint Léonard ?
Laissons parler les vieilles pierres Tout
commence en l'année 1233, Dietler,
l'auteur des chroniques de
Schœnensteinbach et de Guebwiller rapporte
qu'à cette époque quatre femmes, veuves,
de familles nobles et originaires du sud
de l'Alsace sont venues s'installer à
Husern, près de Pfaffenheim, pour y vivre,
retirées du monde. L'une des chroniques
rapporte même qu'elles auraient eu le
dessein initial de restaurer la chapelle
qui y existait déjà. Gela est fort
possible, car d'autres sources historiques
nous révèlent que le hameau et sa chapelle
avaient déjà été incendiés en 1180.
Etaient-elles des béguines ?
S'étaient-elles constituées en béguinage?
C'est possible, A cette époque cette
pratique était fort courante. Il est
certain que quelques années plus tard, en
1236, a été fondé le couvent de St
Léonard. La chapelle de Husern était
dédiée à ce saint, invoqué en Alsace comme
protecteur des chevaux. Le couvent ayant
pris le nom de St Léonard, avait d'abord
du recevoir l'aval de l'évêque de
Strasbourg, qui rappelons-le, était le
seigneur temporel du lieu, puis celui de
l'évêque de Bâle, comme responsable
spirituel el ordinaire de la paroisse de
Pfaffenheim. Les nobles Walther et Konrad
de Horbourg qui tenaient à Pfaffenheim un
fief de l'évêché de Strasbourg, avaient
donc autorisé la fondation de ce nouveau
couvent el sur ordre de Berthold I, évêque
de Strasbourg, l'avaient placé sous
l'obédience des sœurs de SI Marc C'est
également durant la même année que
l'évêque de Bâle donna son accord, par
l'intermédiaire du curé de Pfaffenheim.
On peut supposer qu'au début de leur
séjour à Husern, ces religieuses vivaient
selon la règle de St Augustin car le
couvent de St Marc était à l'époque sous
l'influence de la prévôté de Marbach. Le
petit couvent de St Léonard était bien
protégé et richement doté par les veuves
de la noblesse d'Alsace. Pour ne citer que
quelques bienfaitrices de ces religieuses,
il y avait Gut Holzweg, une dame de
Gueberschwihr. Avec l'accord du bailly
Dietrich de Schrankenfels elle leur avait
fait don de terres et de biens, situés à
Gueberschwihr. Quelques années plus tard,
il y eut Hedwig von Falkenstein, veuve du
Walraven, avec des biens situés à Soultz,
puis en 1252, Kunigunde, veuve d'un
chevalier nommé Johan Thosce,
dePfaffenheim.
Le pape Innocent IV, par un bref signé le
19 septembre 1245 à Lyon, prit alors le
couvent sous sa protection en confirmant
les droits et les privilèges. Mais sa
prise de position contre l'empereur Henri
II, suscita de nombreux troubles et scènes
de destruction et de pillage dans cette
partie de l'Obermundat de Rouffach,
mettant certains couvents en difficulté.
Afin d'éviter au couvent de St Léonard
d'être victime de ces querelles, une
nouvelle fois le pape, dans une bulle du 5
février 1246 demandait à tous les fidèles
du diocèse de Bâle de lui apporter leur
aide ainsi qu'aux religieuses. Il
accordait pour cela à tous les
bienfaiteurs une indulgence de vingt
jours, ce qui à l'époque représentait une
compensation spirituelle non négligeable
dans l'échelle de valeur des indulgences.
Durant cette année aussi, le 11 juillet
1246, grâce
à l'intervention d'un certain Walther de
Joigny, une nouvelle bulle pontificale mit
les religieuses sous la juridiction de
l'ordre des prêcheurs.
Mais malgré cette nouvelle garantie le
petit couvent n'était pas à l'abri. Dès
1248, les religieuses durent céder les
propriétés qu'elles
possédaient à Soultz, au chevalier Pierre
de Hegenheim. Puis en 1250, Adélaïde la
prieure du couvent, dû se défaire au
profit de Konrad Waldner de Berwiller, des
riches fermages qui venaient de lui être
légués par le chevalier Rudolf Holzapfel
dans son testament. La situation de la
communauté devenait de plus en plus
critique. Les hordes qui durant l'année
1253 pillèrent l'abbaye de Marbach
maltraitèrent probablement aussi les sœurs
de St Léonard.
Ces dernières lancèrent-elles un appel au
secours ? Y eut-il une intervention de
l'ordre des dominicains ? Nous ne le
savons pas actuellement. Toujours est-il
qu'un certain Walther von Klingen, noble
de Forêt-Noire, possédant des fiefs dans
l'Obermundat de Rouffach, proposa aux
religieuses de les reloger en Forêt-Noire.
Par une charte datée du 2 septembre 1256,
il leur donnait les moyens de construire
un nouveau couvent, ainsi que des
bénéfices dans la paroisse de Wehr, une
localité située dans la vallée de la Wehra.
Le nouveau couvent prit alors le nom de
Klingenthal, en hommage à son bienfaiteur.
En 1257, le pape Alexandre IV confirma les
religieuses Augustines, établies selon la
règle de l'ordre des frères prêcheurs.
L'histoire des religieuses ne s'arrête
évidemment pas à Wehr. En effet quelques
années plus tard, en 1274, après d'autres
pérégrinations, elles s'installèrent à
Bâle, au Petit-Bâle plus exactement, en
face du pont du Rhin. Le chemin parcouru
par les sœurs a été également très riche
en évènements. Il sera rapporté dans le
deuxième chapitre.
Après le départ des religieuses, le
couvent de St Léonard fut à nouveau
incendié en 1258, puis resta inoccupé. Il
aurait certainement subi le même sort que
les habitations du hameau de Husern, si
une quarantaine d'années avant la
Révolution, il n'y avait eu une
intervention des Pfaffenhémiens. En effet,
ils avaient en 1750 essayé de lancer un
pèlerinage concurrent de celui du
Schauenberg, que les Récollets avaient,
d'après eux, illégalement investi... A cet
effet, la communauté de Pfaffenheim avait
alors restauré la chapelle de St Léonard.
On ne peut actuellement regretter cette
démarche. Même si à l'époque elle n'eut
aucune suite, elle a cependant permis de
nous maintenir des vestiges relativement
authentiques.
Qu'en est-il des biens, des rentes et des
autres propriétés du couvent ? Que
sont-ils devenus ?
Tout le patrimoine a évidemment suivi la
congrégation. Celle-ci par l'intermédiaire
de ses bienfaiteurs dont certains
habitaient à Pfaffenheim, Rouffach.,.,
continuait de tirer profil des bénéfices.
Plus tard, l'ensemble des possessions du
couvent fut attribué à l'abbaye de
Marbach, qui s'était engagée à entretenir
les restes du couvent «pro patronis et
fundatoribus», c'est-à-dire à la place du
patron de la paroisse et des fondateurs.
En 1525, l'abbaye ayant connu elle-même
des difficultés, vendit le couvent de St
Léonard à la communauté paroissiale de
Pfaffenheim pour la somme de 100 florins,
avec la condition qu'annuellement soient
lues huit messes, soit à la chapelle SI
Léonard, soit à l'église paroissiale, soit
à la chapelle de l'hôpital du village.
La plupart des biens et les propriétés qui
appartenaient au couvent se sont, petit à
petit, «évanouis» au fil des ans. Le
chapitre III retracera les diverses
péripéties qui ont accompagné les
transferts successifs. Il reste
actuellement comme ancienne dépendance
reconnue, le terrain de la châtaigneraie
sur lequel sont situés les restes du
couvent. Cette forêt, propriété de la
fabrique de l'église de Pfaffenheim, a été
durant le siècle dernier, l'objet de bien
des convoitises.
Le souvenir de la chapelle de St Léonard
est cependant resté bien présent dans la
mémoire des Pfaffenhémiens. Et le
promeneur averti pourra encore découvrir
avec émotion les assises romanes sur
lesquelles sont construits les murs
restants, tout en pensant à la communauté
des religieuses de Klingenthal, dont le
petit couvent a été le berceau.
Bernard KELLER, novembre 1989
Les
chanoinesses de Husern-Klingenthal
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