Au XVIII siècle, le Schauenberg, où «depuis un temps qui passe la
mémoire des hommes il a plu à Dieu de manifester en cet endroit par de
prodiges, la gloire et l'honneur de la Mère de l'Homme-Dieu » (1)
connaît sur le plan spirituel une activité intense grâce au zèle des
Pères franciscains qui y sont installés depuis la fin du siècle
précédent. Le rayonnement de ce sanctuaire marial est unanimement
reconnu et les habitants des villages environnants fréquentent le
pèlerinage avec régularité et dévotion. Les chercheurs , historiens et
amis de ce lieu, qui de près ou de loin, ont étudié son histoire,
relèvent des traces indiscutablement positives de la présence des
religieux au Schauenberg durant la majeure partie du XVIII° siècle, et
précisent tous, sans aucune ambiguïté, que ce n'est qu'en victimes de la
nouvelle législation sur le culte religieux, qu'ils quittent leur
couvent en 1791.(2)
Si donc tous les historiens sont de cet avis, qui paraît plutôt
favorable aux religieux, tous rapportent cependant que, durant les
dernières décennies du séjour des franciscains au Schauenberg. les
relations qu'ils ont avec la communauté de Pfaffenheim sont loin d'être
sans problèmes En effet la situation matérielle du pèlerinage et les
conditions de son occupation par les religieux et de leur hébergement
sont continuellement remises en cause soit par les uns, soit par les
autres. Dans les nombreux écrits évoquant cette période de l'histoire du
sanctuaire, on ne trouve généralement que quelques allusions assez
discrètes et peu précises, telles que, « il existe de continuelles
démêlées entre les pères récollets les préposés, échevins et bourgeois
de la communauté de Pfaffenheim » ou « la communauté de Pfaffenheim
entreprend des démarches en vue de chasser les religieux »(3)
Quel est
le sentiment du curé de Pfaffenheim dont la juridiction s'étend
au Schauenberg ? Comment se comporte le chapelain de N.D. du Schauenberg
régulièrement nommé et dont les droits ne peuvent être contestés ? Quels
sont les griefs avancés par les responsables de la communauté de
Pfaffenheim ?
Que souhaitent réellement les habitants du village? Comment réagissent
les récollets ? Quelle est la position de l'évêque de Bâle, en tant
qu'ordinaire du
lieu?
Ce chapitre(5) se propose d'étudier une partie de l'histoire du
pèlerinage
sous un éclairage un peu particulier, d'une part pour répondre à toutes
ces
interrogations et permettre peut-être d'expliquer plus en profondeur les
opinions des intervenants, et d'autre part dans le but de rétablir la
vérité historique que certains auteurs ont parfois trop simplifiée pour
pouvoir la rapporter plus facilement. A ma connaissance, cette analyse
est probablement la seule, entreprise et publiée a ce jour. Compte tenu de l'importance et de la
quantité de
documents consultés, aussi bien à propos de l'activité des religieux et
des
interventions des instances temporelles de l'église, de celle des
préposés,
prévôt et échevins de la communauté de Pfaffenheim et de celle des
habitants
du village qu'à propos des décisions de la première chambre du conseil
souverain d'Alsace, il est probable que ce chapitre approche assez
fidèlement
la réalité des faits et les rapporte convenablement, sans marquer de
faveur particulière ni à l'une, ni à l'autre des parties- Enfin, il ne
s'agit pas d'apprécier le bien-fondé des réclamations au sujet des
problèmes de voisinage ou de
cohabitation qui existent entre les deux communautés, mais plutôt
d'exposer avec clarté et toute l'objectivité historique, la naissance, le
développement et
la fin d un conflit humain. Le souci de l'exactitude des documents cités
et la
précision dans la chronologie des événements sont présents, de façon
permanente, tout au long de ce chapitre. Certains détails peuvent paraître
sans
importance, ils sont cependant nécessaires pour expliquer ou même
justifier
le comportement parfois étonnant et contradictoire de l'un ou l'autre
intervenant.
L'étude de ce conflit aboutit très rapidement à un semble de
questions
de droit et de légitimité, ce qui nécessite de rappeler, en début de
chapitre, les principales clauses ou conventions des différents contrats concernant le
Schauenberg, afin de permettre une lecture aisée et une bonne compréhension.
1. La fondation initiale de 1483
Sans revenir sur les origines de ce pèlerinage il est important
cependant
de rappeler avec précision, l'ensemble des clauses, élaborées d'un commun
accord entre les instances religieuses du lieu, les représentants des
autorités
locales administratives, à savoir le prévôt et les jurés de Pfaffenheim,
et bien
entendu, le patron de la paroisse, possédant le droit de colature. On
verra
qu'au moment du procès, les avocats de la communauté de Pfaffenheim
présenteront comme argument majeur dans l'exposé de leurs moyens, la
nullité
de tous les contrats ou conventions, signés postérieurement à 1483,
prétextant
l'incompétence des signataires ou des parties. L'évêque de Bâle dont
dépend
le chapitre rural Citra Colles ou Citra Ottonisbuhel auquel appartient
Pfaffenheim, donne bien entendu son accord à cette nouvelle fondation
(7)
L'intention des signataires de ce document est que le service divin soit
célébré avec plus d'ordre, de dignité et de ferveur. Pour cela, ils y
annexent
une rente annuelle de 34 livres pfennings, en valeur de Bâle. Deux
mesures
de vin et un rezal de seigle sont également prévus pour l'entretien du
prêtre
chapelain. Un ensemble de six clauses réglemente cette fondation, sans
pour
autant nuire aux droits du patron et du curé.
1. Les rentes désignées ci-dessous seront unies à perpétuité au bénéfice
et inaliénables.
2. Les titres de la fondation seront déposés entre les mains du prévôt
et
des préposés de Pfaffenheim, et en cas de besoin, le chapelain pourra
s'en
servir ou en tirer copies.
3. Le curé sera en droit de présenter à ce bénéfice qui il voudra, à
moins
que les préposés de Pfaffenheim ne lui recommandent une personne du
lieu,
ou une personne alliée ou apparentée à quelqu'un de Pfaffenheim.
4. Le chapelain résidera à Pfaffenheim. Il chantera la grand'messe au
Schauenberg aux fêtes de Notre-Dame et il y dira la messe basse deux
fois
par semaine. Il dira une messe basse une fois par semaine à l'église de
Pfaffenheim.
5. Les offrandes portées sur l'autel du chapelain, pendant qu'il dira la
messe, seront à lui. Les préposés de Pfaffenheim recueilleront les
autres, dont
le produit sera employé à l'entretien de la chapelle et le reste placé
pour
constituer une rente à réunir au bénéfice jusqu'à concurrence de 40
livres.
De ce qui sera jeté dans le tronc de la chapelle, un quart ira au curé
et le
reste employé pour la chapelle.
6. Le chapelain sera soumis au patron et au curé et il aidera celui-ci à
chanter le grand'messe, il assistera aux vêpres et autres offices divins
de l'église
paroissiale. En cas d'absence ou de maladie du curé, il desservira la
paroisse
et y administrera les sacrements.
2. Le contrat de 1704
En 1684 meurt Jacques Meyer, curé de Pfaffenheim. Dans son testament,
il lègue des terres et des vignes au Schauenberg, afin de continuer de
restaurer
et d'agrandir la chapelle (8). Les travaux de construction commencés
quelques
années plus tôt ne donnent pas satisfaction à Mathis Ehret, prévôt, ni à
Jean
Jacques Pipion, nouveau curé de Pfaffenheim, précédemment primissaire à
Rouffach. Ces trois personnes s'adressent aux franciscains du couvent de
Rouffach pour leur demander d'achever les travaux et de prendre en
charge
le pèlerinage (9). Cette démarche sera plus tard critiquée et considérée
comme
invalide et abusive par Steffan lors du procès. En 1690 le prévôt de
Pfaffenheim
confie même le Schauenberg aux récollets (10). Le 11 juillet 1695, Gaspar
Schnorf, suffragant de Bâle, consacre la nouvelle chapelle où quatre
autels
sont dédiés, le premier à la B.V. Marie, le second du « côté de l'Epitre
» à
St François d'Assise et à St Antoine, et le quatrième à St Ulric (11).
Pour quelles raisons, les travaux étant achevés, les pères franciscains
restent-ils au Schauenberg ? Les réponses à cette question sont, bien
entendu,
de connotation différente, selon leur origine. Steffan, l'un des avocats
de la
communauté de Pfaffenheim, écrit dans le mémoire de 1784 :
« Pendant plus de deux siècles, ce saint pèlerinage devenait plus
célèbre
d'une année à l'autre ; mais comme il en est des beaux biens comme des
grandes places, et qu'ils font naître l'envie et trouver des amateurs,
Schauenberg, beau par sa situation, et riche par l'affluence des pèlerins,
attira les yeux
des pères récollets. Soit zèle du bien public, soit amour de leur corps,
dont
tout membre cherche à procurer l'honneur et la gloire, ils conçurent un
désir
ardent pour cette sainte habitation ».
Toujours est-il que les religieux, une fois la construction de la
chapelle
et d'un petit couvent terminée, souhaitent en faire une annexe de celui
de
Rouffach. Dans une lettre qu'il adressera quelques années plus tard au
directoire de Colmar, le père provincial Bernardin Oberhauser, exprime
son sentiment : « D'ailleurs la maison qu'habitent les religieux du Schauenberg
n'appartient pas à la communauté de Pfaffenheim, elle a été bâtie aux frais
de
l'Ordre ou plutôt des ses bienfaiteurs... »(12). II est certain que
l'aménagement
des terrasses devant la chapelle rappelle Assise et que la marque des
successeurs de St François caractérise l'architecture de l'ensemble. On
peut effectivement penser, qu'ayant réussi à mener à bon terme cette construction bien
mise en valeur pas sa situation exceptionnelle, à flanc de montagne, et
visible de très loin de la plaine d'Alsace, possédant toutes les
qualités requises pour
être un sanctuaire digne du culte marial, que les pères venant de
Rouffach
désirent y rester. Cette volonté d'expansion et de participation à la
vie des
paroisses se développe effectivement chez les franciscains de Rouffach,
comme d'ailleurs dans d'autres communautés religieuses de l'époque. Les
récollets
de Rouffach se chargent déjà de la paroisse de Westhalten entre 1653 et
1659 (13). Le 4 mars 1704, ils s'occupent donc de légaliser leur
installation
définitive au Schauenberg, en soumettant à l'évêque de Bâle un contrat
qu'ils
lui demandent de ratifier (14)
Ce contrat contient les droits et les devoirs de chacune des parties
concernées. Il en sera, au moment du procès, le principal document dont la
nullité
sera invoquée par les avocats de la communauté de Pfaffenheim.
Dans la lettre du 5 mars 1704 adressée à l'évêque de Bâle, il est
précisé
que, considérant que le pèlerinage est avantageusement situé pour
l'ordre des
franciscains et peut-être commodément desservi par les religieux de
Rouffach,
le père gardien du couvent Sainte Catherine de Rouffach prend « la chose
à
cœur avec tant de zèle qu'il s'abouche avec le sieur Jean Jacques Pipion,
curé
de Pfaffenheim ». Ces deux personnages s'adressent ensemble à Jean
Christophe Friess, conseiller aulique du prince évêque de Strasbourg et bailli
de
l'Obermundat, pour « effectuer ce projet et l'amener à une heureuse fin
conjointement avec les prévôts et gens de justice de Pfaffenheim, qui
jusqu'à
présent ont l'inspection sur le temporel de la fabrique du pèlerinage ».
Le contenu de ce contrat peut se détailler en douze points (15).
1. Les franciscains s'engagent à maintenir au Schauenberg deux pères,
un frère et un domestique qui seront tous sous l'obédience du couvent de
Rouffach.
2. Les franciscains se chargent de construire une petite habitation
pouvant
loger les religieux, sans rien demander à la communauté de Pfaffenheim,
ni à la fabrique de l'église du Schauenberg.
3. Les pères sont tenus de servir et d'assister les pèlerins en disant
la
messe et en les entendant à confesse, tant aux fêtes et aux dimanches
qu'aux
jours « ouvriers » et principalement aux fêtes de la Vierge.
4. Les pères se chargent de donner la table aussi honnêtement que leurs
facultés le leur permettront aux ecclésiastiques qui y viendront
confesser
prêcher et dire la messe aux fêtes de la Vierge. Ils toucheront pour
cela une
somme de trente livres.
5. Les pères s'obligent de n'être en aucune manière incommodes ni à
charge, soit au public, soit à la fabrique, et de ne rien exiger
indûment.
6. Les pères laisseront la priorité au chapelain, s'il le souhaite pour
les
messes votives.
7. Dès que l'évêque de Bâle aura ratifié le contrat, la somme de 50
livres
steblers sera prise sur les fonds de la fabrique et donnée aux pères
pour les
aider à remettre la maison dans un état convenable et pour leur
entretien.
8. Les pères toucheront le tiers de toutes les offrandes en argent qui
seront déposées sur les autels les jours de fêtes et les autres jours de
l'année.
Par contre ils seront tenus « d'avoir l'œil » pour que ces offrandes
soient
fidèlement livrées sans aucune diminution à la fabrique.
9. Les pères toucheront la totalité des offrandes qui consistent en des
vivres. La cire qui sera offerte demeurera à l'église, mais la cire
filée sera
entièrement à la disposition des pères.
10. Le curé de Pfaffenheim touchera le quart des offrandes qui seront
mises dans les troncs ordinaires. Les pères percevront la même somme.
11. La fabrique de l'église du Schauenberg devra bâtir et réparer tout
ce
qui est nécessaire. Elle devra acheter les meubles et les ornements
nécessaires
et remettre, chaque automne, deux mesures de vin blanc pour les messes
et
le vin de communion.
12. Le prévôt et les gens de justice de Pfaffenheim se réservent
expressément le droit de reprendre la direction du Schauenberg et la maison, si
les
pères quittaient le pèlerinage ou s'ils ne pouvaient plus y habiter à
cause de
la guerre, et cela sans avoir à rembourser quoi que se soit aux
religieux.
Dans la chronique du P. Bambach (16) datant de 1798, on trouve un long
exposé sur le Schauenberg. Les extraits suivants confirment sans plus la
démarche de 1704 et ne mentionnent en aucune façon, une quelconque
situation
conflictuelle. On peut supposer qu'au niveau de l'administration de la
province franciscaine de Strasbourg dont dépend le Schauenberg depuis
1750, la création
de ce nouvel établissement franciscain ne pose pas de difficultés
particulières
et que les démêlées avec la communauté de Pfaffenheim ne préoccupent pas
énormément le provincial et les définiteurs.
Le P. Bambach écrit : « avec l'approbation de l'ordinaire et du couvent,
et avec l'accord du curé et du prévôt du lieu, qui trouvaient cela
important,
répondant aux humbles prières du P. Polychronius, a accordé en 1704 et
sous
certaines conditions, l'hospice du Schauenberg, en Alsace et dans le
diocèse
de Bâle, situé non loin de Rouffach. La dévotion populaire a montré un
afflux
vers ce lieu, et le curé ne suffisait plus... la dévotion a tellement
augmenté
que les frères qui exerçaient en ce lieu ne pouvaient plus subvenir aux
demandes. Par conséquent, il était fréquent qu'on fit appel à une aide du
couvent
de Rouffach... ».
Après l'autorisation, datée du 31 mars, donnée par l'évêque de Bâle (17),
les pères franciscains montent au Schauenberg le 14 avril 1704,
solennellement
et en procession, pour s'y installer (18).
3. Les premiers signes d'un mécontentement
Dans le mémoire de 1784, Steffan, défendant les intérêts de la communauté de Pfaffenheim, rappel que les pères déclarent dans le contrat de
1704,
qu'ils promettent de « ne pas molester en rien la communauté, ni de lui
être
à charge ». Et cependant, dit-il, très peu de temps après leur
installation, ils
demandent qu'on leur fournisse du bois de chauffage, mais ils précisent
toutefois qu'ils prendront ce qu'on voudra bien leur donner. Il semble
qu'ensuite, assez rapidement, qu'ils fassent un droit de cette générosité,
pour
arriver enfin à taxer les Pfaffenhémiens d'ingratitude pour «n'avoir pas
voulu
leur donner successivement trois, puis six, puis neuf, puis douze, puis
quinze, puis dix-huit cordes de bois et plusieurs centaines de fagots ».
Le mécontentement concerne même les affaires religieuses, car, toujours d'après
Steffan le
curé successeur de Pipion (19) est obligé de porter plainte à l'ordinaire
contre
les récollets. Il leur reproche leur ingérence dans la gestion de la
paroisse :
« ils s'avisèrent, contre la teneur des saints canons, contre les
décrets récents
du concile de Trente, contre les lois de l'Etat, sans permission de
l'évêque
sans l'agrément du curé du lieu, à l'insu de l'un et de l'autre, donner
la
bénédiction nuptiale, et même de tenir registre de mariages ; ils
défendaient
au curé collateur et fabricien la chaire de l'église de Schauenberg,
située dans
la paroisse ; ils lui refusaient d'y chanter la grand'messe pour nous
les ouailles,
leurs bienfaiteurs, lorsque nous y allions en procession, ils
prétendaient que
le curé n'y avait aucun droit, tandis que l'acte informe de 1704 les lui
réserve
tous... Ils demandèrent d'abord qu'ils fussent clos par un mur ; ils
demandèrent
ensuite des puits, des fontaines, des réparations extraordinaires de
l'église, de
nouvelles richesses pour la sacristie, un mur d'appui pour leur
promenade... »
Les documents actuellement connus situent au cours de l'année 1733 le
début des interventions officielles auprès des instances administratives
ou
religieuses. Tout d'abord, on trouve trace d'une intervention le 4
septembre 1733 auprès d'un notaire, conseiller du Roi à Colmar. Le
document (20)
rédigé
en français à Colmar le 28 septembre 1733, signé par les avocats Rieden,
Boug et Kieffer, expose la situation de façon assez objective, se basant
sur
le bien-fondé de la démarche. Il classe les doléances en sept points «
Klagenpunkten », et en attribue la responsabilité, tantôt à la communauté de
Pfaffenheim qui ne semble pas tenir les engagements de 1704, tantôt aux
récollets.
Le document mentionne aussi qu'en première instance une requête a déjà
été
déposée auprès de la régence de Saverne. Il s'agit bien sûr de l'évêque
de
Strasbourg. Les points 3 et 7 soulignent les habituelles négligences de
la
communauté de Pfaffenheim dans l'entretien des locaux du Schauenberg, la
fourniture de l'eau potable aux religieux, etc... Le premier point par
contre
rappelle aux récollets l'existence d'un chemin que les habitants de
Pfaffenheim
doivent emprunter et qu'ils ont toujours utilisé jusqu'à présent, et
dont ils doivent laisser le libre accès. L'ensemble des locaux
conventuels doit probablement déjà être clôturé à cette date, puisque ce document propose
l'installation
d'une clochette à l'entrée, susceptible d'être utilisée de jour comme de
nuit,
pour permettre le passage. Le « Klagepunkt Nummer 2 » évoque fort
justement
que les fabriciens de l'église du Schauenberg doivent fournir tout ce
qui est
nécessaire au service du culte. Il précise que les pères franciscains ne
souhaitent que des ornements liturgiques et pas d'autres fournitures
superflues, et que
les fabriciens ne leur fournissent même pas ce strict minimum nécessaire
au culte.
Puis deux ans plus tard, le 4 avril 1735, une lettre (21) est adressée à
l'évêque de Bâle par Antoine Scheppelin, bailli de Rouffach et de l'Obermundat, consignés par le curé Jordan, le prévôt Knecht et sept bourgeois
échevins
de la communauté. Le curé et les préposés de Pfaffenheim y admettent que
la sécurité des pèlerins n'est pas convenablement assurée au Schauenberg
et
envisagent de faire construire un mur pour retenir la terre devant la
chapelle.
Pour financer cette construction, la communauté de Pfaffenheim ne
pouvant
le faire, demande à l'évêque de Bâle d'autoriser un ermite nommé
François
Paul Utz, de la « Feldkirch », chapelle située près de Wettolsheim, à
quêter
dans les paroisses voisines.
L'évêque suffragant de Bâle et vicaire général, Jean Baptiste Haus,
donne son accord le 15 avril 1736 et autorise la démarche du frère
François
Paul Utz pour une durée de six mois.
Deux procès-verbaux de remise des sommes collectées par Utz datés des
2 juin et 16 juillet 1736, donnent une idée de l'importance des dons. Le
premier mentionne la somme de 90 livres 1 sol, et le second 94 livres 10
sols, destinées à la construction du mur de soutènement de la chapelle.
Ces
sommes ne représentent cependant pas la totalité de la quête. En effet
les
procès-verbaux rajoutent que, pour « sa peine », le frère Utz touche
respectivement 15 livres 5 sols et 3 deniers, puis 1 livres. Il s'agit de livres
tournois.
Les documents portent les signatures du curé Jordan, du prévôt Knecht,
du
receveur Ignace Frick et celle de l'ermite François Paul Utz (22).
Ces interventions (23) doivent cependant être discrètes et sans grande
influence sur la dévotion des fidèles, car à aucun moment on ne remarque
des signes d'une baisse de la fréquentation du pèlerinage ou de la
pratique religieuse chez les paroissiens. Il est bon de rappeler qu'au XVIIIe siècle,
Pfaffenheim,
bien plus encore que les autres villages du vignoble, est un «
fournisseur »
de prêtres et de religieux (24) et qu'il accueillera, quelques décennies
plus tard,
durant les années révolutionnaires, un grand nombre de prêtres, enfants
du
pays cherchant refuge devant les lois sur le clergé.
Enfin, cette situation de conflit entre les « officiels » du village et
les
récollets, conduit Josué Ricklin, père provincial des franciscains, à
s'adresser
lui aussi à l'évêque de Bâle, non pas tellement pour faire valoir
d'éventuels
droits, mais plutôt pour proposer une solution devant permettre aux deux
communautés de vivre en bonnes relations et bien sûr « ad majorem Dei
gloriam ». (25).
|
(1) C'est en ces termes
que les défenseurs de la communauté de Pfaffenheim, après avoir situé
géographiquement le Schauenberg, présentent les faits dans les
conclusions qu'ils déposent devant
le conseil supérieur d'Alsace en 1784. Cf Mémoire pour Jean Erhard,
André Bosch... par Steffan,
avocat et Schirmer le jeune, procureur. Ce mémoire comporte 26 pages et
est imprimé par Jean-Henri Decker, imprimeur juré du Roi et de Nos Seigneurs du conseil
souverain d'Alsace. Il fait
partie de la collection Chauffeur, léguée à la Bibliothèque municipale
de Colmar.
(2) Cf « les derniers franciscains du Schauenberg », in AEA 1986.
(3) En 1767, le notaire apostolique Schweigheuser ne fait aucune
allusion à ce conflit dans son
ouvrage inédit : « Trifolium Seraphicum in Alsatia florens ». Cfp. 78-82
du manuscrit autographe
conservé à la B.N.U de Strasbourg. Le vicaire Litzler qui en 1848
commence la chronique 1
déposée aux A.D.H.R, donne quelques indications sur la démarche des
Pfaffenhémiens sans plus
de détails. Ce n'est qu'en 1920 que le curé Hincky de Pfaffenheim et son
vicaire Joseph Litzler
publient une excellente histoire du Schauenberg, dans le « Sendbote des
Heiligen Franziskus »,
Metz, février 1920 et mois suivants. Ils y mentionnent la démarche
contre les récollets, sans
aborder par contre le côté juridique.
(4) Même si par la suite les interventions et les intérêts de l'ensemble des
habitants du village
coïncident avec la démarche du prévôt, celle des bourgeois et échevins
de la communauté de
Pfaffenheim, il est indispensable de bien distinguer les deux
intervenants, qui au début surtout
n'ont pas les mêmes raisons d'être mécontents des récollets
(5) Ce chapitre fait partie d'une étude plus générale de l'histoire du
pèlerinage N D du Schauenberg et dont il représente un épisode de son
histoire. cf - "Le Schauenberg: cinq siècles d'histoire et de dévotion "
in AEA 1988
(6) Cf AEA 1988
(7) Cf AEA 1986, p 239 note (2).
(8) Walter, Allemania, vol. 3, 1906.
(9) II convient de rappeler que les travaux de construction d'une
nouvelle chapelle pour remplacer
celle de 1515 commencent en 1685. Les documents présentés par les deux
parties durant le procès
sont d'accord avec cette date.
(10) Levy, Gfrörer et Kraus indiquent cette date et mentionnent le seul
prévôt.
(11) D'après Ignace-Marie OFM, archives du canton de Berne, série A 45
(12) Cf.AEA 1986 p 233
(13) Th. Walter, Urkunden der Stadt Rufach, Rouffach 1908, t. 1, p 27.
(14) Les signataires sont : Jean Christophe Friess, conseiller aulique
du Prince-Evêque de Strasbourg et bailli de l'Obermundat, Jean Jacques Pipion, curé de
Pfaffenheim, Jean Martin Erhard,
prévôt de Pfaffenheim, p. Rodericus Schnabel, théol. lector, jubilatus,
provincial, F. Polichronius
Blest, visiteur de la province et gardien du couvent de Rouffach.
(15) Walter résume l'essentiel de ce contrat en six points, par contre
Ignace-Marie Freudenreich,
dans le bulletin ecclésiastique du diocèse de Strasbourg, à partir du
numéro 15 du 1er août 1932,
cite, page 381 un ensemble de 18 paragraphes. Il s'agit plutôt d'une
note de travail utilisée par
les avocats de l'une des parties en présence lors du procès. Cf ADHR,
141 J 265 « Inhalt der
bedingungen und Vertrags zwischen den patribus franciscaner auf dem
schauenberg und der
gemeint zu pfafenheim ». En comparant les deux documents à savoir la
copie certifié conforme
ADHR 141 J 254, la note 141 J 265, mentionne ci-dessus avec un troisième
texte, représentant
également une note de travail et comportant la réponse de l'évêque de
Bâle 141 J 253, on peut
résumer l'ensemble des clauses de ce contrat de 1704 en 12 points.
(16) Le P. Valentin Bambach, comme chronologue de la province de
Strasbourg a accès aux
archives provinciales. Il s'inspire probablement d'un prédécesseur, qui
en 1775 écrit les « Annales
Provinciae per omnes annos usque ad 1775 », manuscrit, qui d'après le P
Livier Oliger est
conservé dans le Generallandesarchiv de Karlsruh. Dans la « Chronica
Provinciae Argentinae seu
Alemanniae Superioris F.F. Minorum strictioris observantiae », le P.
Bambach donne en 1798 la
liste des nouvelles fondations de la province, puis passe aux événements
qui se rapportent à la
séparation des couvents alsaciens, dont il raconte en détail l'origine
dans le chapitre XVI Proeressus
Provinciae Argentinensis, sec. VI S. Ord. Le P. Bambach cite « anno 1704
erectum fuit Hospitium in monte Schauenbergensi », puis en fin de chapitre mentionne les
conditions dans lesquelles se fait l'installation, sans cependant donner de détails au sujet du
contrat de 1704.
(17) ADHR 141 J 253, copie en français, certifiée conforme par
l'interprète du conseil souverain
en 1771, donnant la réponse de l'évêque de Bâle, avec quelques réserves
prudentes... « Nous
Guillaume Jacques, par la grâce de Dieu, évêque de Bâle et prince du
Saint Empire romain, savoir
faisons que la présente convention et accord amiable ayant été passé,
avons mûrement examiné
et le contenu d'icelui trouvé propre à augmenter l'honneur et la gloire
du très haut, ainsi que la
dévotion du pèlerin envers la bienheureuse Vierge Marie, nous, sur les
très humbles et dévotes
prières des parties intéressées, avons de par notre autorité épiscopale
confirmé et ratifié la dite
fondation en tous les points et articles, en réservant néanmoins
expressément tous les droits à
nous compétents à cet égard en qualité d'ordinaire, et ainsi qu'à ceux
ordonnés autrement dans
la suite, et sans préjudice aux anciens droits compétents à la cure de
Pfaffenheim, dont nous
avons signé et fait apposer notre sceau pontifical à cette présente et
donnée dans notre château
de résidence à Porrentruy, le 31e jour du mois de mars 1704... »
(18) Léon Josbert, dans « Maria Hilf auf dem Schauenberg. Alsatia,
Mulhouse 1932 », p 1, cite
d'après Grandidier : « introductiv actualis praedictorum fratum facta
est et posessio coepta solemnis
loci illius sancti... ». De même, il cite d'après Muller, Hausbuch, : «
Anno 1704 d. 14 Aprillis
sindt die wohl ehrwurdigste patribus franciscaner von hier das
erstenmahl mit einer procession
aufs Maria Schauenberg gezogen, in begleidt einer grossen menge volkhs
von hier auf Erlaubnis
det Bapstlichen Heilligkeit. Alldorten pocession guenemen und seindt
gleich etliche pater droben
verbliben, allés zue grosster Ehr undt seiner werdhigsten Muadter Maria,
undt haben sich die
Patres verlobt, jahrlich auf diesen Tag aus dem Kloster allhier mit
procession auf Schauenberg
zu verrichten ».
(19) Le successeur du curé Pipion est Jean Henri Jordan, originaire d 'Oltingue
curé de Pfaffenheim
de 1705 à 1739, année de sa mort.
(20) ADHR, 141 J 255. Le document original est écrit en français. La
copie en allemand datée
du 2 octobre 1733, est certifiée conforme par l'avocat et
secrétaire-interprète auprès du notaire
conseiller du Roi à Colmar.
(21) ADHR, 141 J 256. Avec les signatures de Scheppelin, bailli de
Rouffach, Jordan, curé,
Knecht, prévôt et sept préposés de la communauté de Pfaffenheim. Sur le
même document se
trouve la réponse de Jean Baptiste Haus, évêque de Messala, suffragant
et vicaire général de
l'évêché de Bâle.
(22) ADHR, 141 J 257
(23) Un exemple d'intervention faite par les récollets, figurant sur un
document rédigé en français,
appartenant à un habitant de Pfaffenheim et qui fait état d'une pétition
datée du 20 septembre 1757 :
« A Monsieur Roullin, premier secrétaire et sous-délégué général de
l'intendance d'Alsace.
Pétition des RP récollets desservant le Schauenberg pour réparation des
toits de la dite église
qui est en très mauvais état, qu'il faut nécessairement les réparer. La
communauté de Pfaffenheim
suppliante sera occupée pour le moins pendant deux années tant sur la
main d'œuvre qu'avec les
voitures pour assembler les biens nécessaires pour le remplacement des
poutres pourries, le sable,
la chaux, les lattes et le gypse. Et les manœuvriers seront occupés à
piler le gypse et employés
aux ouvrages du bâtiment de sorte qu'il serait impossible aux suppliants
d'entreprendre cette
réparation indispensable, s'ils étaient obligés de faire encore d'autres
corvées extraordinaires. La
communauté suppliante a été jusqu'à présent surchargée de corvées, elle
a établi sans l'aide de
ses voisins un chemin, elle a travaillé au canal d'Oberbergheim, aux
carrières de Bergholtz, au
chemin de Soultz et au pont de Meyenheim, outres les autres corvées
ordinaires et extraordinaire,
et les réparations de la dite église seront d'autant plus pénibles
qu'elle est située sur une haute
montagne qui rend les transports des matériaux extrêmement pénibles.
(24) En 1789, on peut dénombrer une quinzaine de prêtres et religieux
originaires de Pfaffenheim,encore en activité.
(25) On constate durant tout le XVIIIe siècle, une présence quasi
journalière dans la pastorale
alsacienne. Cf Claude Muller, in Les ordres mendiants, p. 320. Dans les
registres paroissiaux de
Pfaffenheim, on relève des baptêmes célébrés par des pères franciscains
du Schauenberg, donc
avec un accord du curé. Dans d'autres couvents, les religieux desservent
des paroisses durant
douze ans de façon régulière. Ailleurs, dans telle ville importante, le
curé et les trois vicaires ne
suffisent plus et les pères récollets rendent alors des services. Il est
fort possible que le père
provincial Josué Ricklin, sollicité par le gardien du Schauenberg,
irrité par l'attitude de la communauté de Pfaffenheim, cherche aussi à répondre au souci de servir
correctement les fidèles dans
leur pratique religieuse, surtout lorsque le curé donne l'impression de
ne pas avoir comme premier
objectif le salut spirituel de ses paroissiens. Sur ce point délicat, le
rapport que fera le recteur
Rieden à l'évêque de Bâle apporte des explications, (voir ci-dessous). |